Le Figaro
Par Jean-Christophe Buisson
Publié
Drôle de monde, en effet, qui hier comme aujourd'hui, prête si peu d'attention à l'homme ayant constitué le premier en Europe occupée une guérilla antiallemande d'envergure tandis que la France vivait à l'heure de Pétain ou de la Wehrmacht, que l'Angleterre se protégeait comme elle le pouvait du Blitz, que l'Amérique attendait le moment opportun pour entrer dans le conflit et que l'URSS se refusait encore à revenir sur son alliance signée avec Hitler en août 1939. Drôle de monde que celui qui refuse d'honorer la mémoire de cet officier serbe qui, à la fin du mois d'avril 1941, à un paysan des bords de la Drina lui demandant s'il savait quelque chose à propos de la capitulation de l'armée yougoslave répondit, sublime: «Capitulation? Je ne connais pas ce mot. Je sers dans l'armée yougoslave depuis de nombreuses années, mais je n'ai jamais entendu ce mot».
Paroles magnifiques immédiatement suivies d'actes. Avec quelques dizaines d'hommes, Draža Mihailović, alors colonel, rejoint le 9 mai 1941, la montagne de Ravna Gora, au sud de la Serbie, et proclame la naissance de l'Armée yougoslave dans la Patrie qui, désormais, au nom du roi Pierre II, exilé à Londres, mènera la vie dure aux Allemands, aux Italiens et aux collaborateurs locaux. Faut-il le préciser: à cette date, le Parti communiste yougoslave et son chef, Josip Broz, dit Tito, se gardent bien de manifester la moindre velléité de résistance à l'occupant, pacte germano-soviétique oblige. Dans le journal communiste yougoslave, Le Prolétaire on peut lire qu'il n'est pas question de se battre au profit «des banquiers français et des lords anglais». En échange, aucun membre du squelettique PCY n'est arrêté ni pourchassé par les autorités nazies. Et quand est sue l'apparition d'un mouvement de résistance monarchiste, on appelle «le peuple à résister hardiment à ces bandes qui s'organisent pour verser le sang et empêcher les ouvriers et les paysans de former, quand sonnera l'heure, le pouvoir des soviets ouvriers et paysans en s'appuyant sur la grande et fraternelle Union soviétique».
Pendant ce temps, Mihailović et ses fidèles tchetniks lancent leurs premières attaques contre les troupes allemandes. Elles seront décisives dans l'issue de la Seconde Guerre mondiale pour deux raisons principales. Avant de partir à l'assaut de l'URSS, Hitler veut à tout prix nettoyer le flanc sud-est de son empire. Il envoie plusieurs divisions en Yougoslavie. Elles mettront cinq semaines à chasser les résistants monarchistes de Serbie, qui se réfugient momentanément en Bosnie. Ce temps perdu se révélera fatal: déclenchée le 22 juin 1941, l'opération Barbarossa a pris du retard et les Panzer ne parviendront aux portes de Moscou en décembre. Trop tard: le général Hiver est déjà arrivé. De même, les nombreuses opérations de sabotage des routes et des lignes ferroviaires reliant le centre de l'Europe et Salonique empêcheront les troupes de Rommel de recevoir à temps suffisamment de renforts et de matériel pour faire face aux contre-offensives en Afrique en 1942.
Ces faits d'armes glorieux furent salués en leur temps par le général de Gaulle. En novembre 1942, le chef de la France libre déclare que «la résistance yougoslave et l'action du général Mihailovic sont pour le peuple français et un réconfort». En février 1943, il cite à l'ordre de la France combattante l'autre homme qui a dit «non», ce Mihailović qu'il qualifie de «héros légendaire, symbole du patriotisme le plus pur et des vertus militaires yougoslaves les plus grandes». A ces déclarations, on pourrait ajouter celles d'Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères britanniques ou du président américain Franklin Delano Roosevelt: elles sont à peine moins élogieuses. Du moins jusqu'à la fin de l'année 1943. En novembre de cette année-là, à Téhéran, Churchill signe avec Tito un pacte moral diabolique: abusé par un réseau d'espions communistes ayant infiltré les services de renseignements britanniques, gonflé d'un cynisme teinté de naïveté qui lui fait espérer que son nouvel ami, quoique communiste, accordera un peu de place à Albion dans la Yougoslavie d'après-guerre, le Premier ministre britannique choisit, au nom de ce honteux partage de l'Europe qui sera avalisé à Yalta en 1945, d'abandonner Mihailović au profit du chef des Partisans. Le «chouan des Balkans», le «Robin des Bois serbe» est devenu un paria, accusé de collaborer - c'est un comble! -, avec les Allemands ou les Italiens. Quand Tito entrera dans Belgrade libérée par les chars de l'Armée rouge, un an plus tard, l'Occident, trop occupé à en finir avec les Allemands sur le front occidental, se désintéressera du sort de ce petit pays d'Europe du sud-est qui avait pourtant le premier levé l'étendard de la résistance antinazie. Et encore plus du général Mihailović.
Aujourd'hui, la Serbie a fait en partie la paix avec cette histoire-là. Après un demi-siècle d'une chape de plomb historiographique à la gloire de Tito, la figure du «De Gaulle serbe» a été officiellement réhabilitée: à la fois par les autorités politiques, les historiens locaux et la Cour de Justice de Serbie. On envisage de bâtir à son nom un pont sur la rivière longeant la capitale serbe. Au regard de ce que la Résistance européenne (donc française) lui doit, comme de ce que pensait «l'homme du 18 juin» de lui, honorer la mémoire de Draža Mihailović en France paraît plus que la réparation d'une injustice morale et historique: un geste nécessaire.
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